IMPAYÉS DE LOYER ET CRISE SANITAIRE

Je suis propriétaire de locaux commerciaux et mon locataire n’a pas payé les loyers de novembre et décembre 2020 pour cause de fermeture en raison de la COVID 19. Celui-ci reste en outre me devoir le loyer du mois d’avril impayé lors du 1er confinement.
Aujourd’hui, il me fait savoir qu'il ne peut payer ces trois mois de loyer et il me propose de les annuler afin de profiter des mesures mises en place par le gouvernement, notamment le crédit d’impôt de 50 %.
Pouvez-vous me dire quels sont mes droits en la matière sachant qu'il n'y a eu aucun échange entre nous à ce sujet ? Il m'avait seulement précisé au mois d’avril qu'il me paierait le loyer dès qu'il le pourrait.

Auteur : Françoise Tournier-Salès , juriste UNPI 31-09

En premier lieu, il convient de rappeler que l’obligation qu’ont les locataires de payer leur loyer commercial n’est pas remise en question, sur le principe, par la crise sanitaire.

Les locataires peuvent toutefois invoquer certaines dispositions découlant des mesures prises par le gouvernement ou encore se prévaloir de certains mécanismes du droit civil.

Les dispositions prises par le Gouvernement

a) Concernant le 1er confinement

Pour faire face aux difficultés financières rencontrées par les commerçants, le gouvernement a pris des mesures d’urgence permettant d’une certaine manière « le gel » des loyers commerciaux et professionnels.

L'ordonnance du 25 mars 2020, le décret du 30 mars 2020 et le décret du 3 avril 2020 précisent ces mesures et les critères d'éligibilité des entreprises pouvant en bénéficier.

Ces mesures s’adressent aux personnes physiques ou morales de droit privé, résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité. Dans cette hypothèse, elles ne pourraient " encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement des loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du Code de commerce ".

Les loyers et charges locatives concernés sont ceux dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (10 juillet 2020) déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée, donc jusqu’au 10 septembre 2020 (2 mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire).

Pour bénéficier de ces mesures, votre locataire doit attester qu’il est éligible au fonds de solidarité. Si tel est le cas, ces mesures l’autorisent à suspendre ses loyers et à demander un report des impayés, les modalités et la durée faisant l’objet d’un accord entre les parties.

En l’espèce, s’agissant du mois d’avril resté impayé à ce jour, vous pourriez proposer à votre locataire un échelonnement de la dette ou poursuivre effectivement cette dette par le jeu de la clause résolutoire.

Toutefois, en cas de contentieux, nous attirons votre attention sur le fait que votre locataire pourrait alors invoquer des mécanismes de droit civil (voir ci-dessous).

C’est pourquoi nous vous conseillerions plutôt de négocier avec votre locataire un échelonnement de la dette. La durée de cet échelonnement pourra varier eu égard au montant du loyer par exemple.

b) Concernant le 2ème confinement

S'agissant du 2ème confinement, là encore, le principe reste que les locataires ont l'obligation de payer leur loyer commercial.

L'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 prévoit à nouveau, une mesure de suspension des sanctions pour retard ou défaut de paiement des loyers commerciaux. Cette mesure vise tant les loyers que les charges locatives. Elle concerne les personnes physiques ou morales de droit privé qui exercent une activité économique affectée par une mesure administrative de police sanitaire dans le cadre de l’état d’urgence. Elle s'applique à compter du 17 octobre 2020 jusqu'à l'échéance d'un délai de deux mois à compter de la cessation de la mesure de police administrative. Le décret n° 2020-1766 du 30 décembre 2020 est venu apporter des précisions quant aux conditions requises concernant le nombre de salariés, la perte de chiffre d’affaires, la déclaration sur l’honneur à produire…)

Plus récemment, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie a annoncé l’introduction dans la loi de Finances d’un crédit d’impôt pour inciter les bailleurs à annuler une partie de leurs loyers.

Cette mesure a été introduite dans la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de Finances pour 2021. Elle concerne les bailleurs, personnes physiques ou morales, au titre des abandons de loyer (hors taxes et hors charges) échus au mois de novembre 2020. Le locataire doit remplir certains conditions (effectif, perte de chiffre d’affaires, interdiction d’accueil du public…) et produire une déclaration sur l’honneur. Le bailleur devra pour sa part déposer une déclaration conforme à un modèle préétabli.

Dès lors, tout bailleur qui abandonnerait le loyer pour le mois de novembre 2020 pourrait donc bénéficier d'un crédit d’impôt de 50 % de la somme totale des abandons ou renonciation de loyers (loyers nets de charges et taxes)

Ce crédit d'impôt est détaillé à l’article 20 de la loi susvisée (voir l’analyse publiée dans 25 Millions de propriétaires de février 2021).

Le plafond est limité de la façon suivante : les bailleurs d’entreprises de moins de 250 salariés bénéficient d’un crédit d’impôt de 50 % des sommes abandonnées. Les bailleurs d’entreprises de 250 à 5000 salariés bénéficient d’un crédit d’impôt de 50 % des sommes abandonnées, dans la limite de 2/3 du montant du loyer.

En l’espèce, concernant ce 2e confinement, vous pourriez abandonner le loyer du mois de novembre et convenir avec votre locataire d’un plan d’apurement de la dette pour les loyers d’avril et décembre restant. Si malgré tout, vous souhaitez poursuivre la résiliation du bail, vous devrez attendre l’échéance du délai prévu par l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 concernant le gel des loyers.

Les mécanismes du droit civil

En cas de contentieux, votre locataire pourrait invoquer certains mécanismes de droit civil notamment relatif à la force majeure ou l’imprévision pour justifier le non-paiement de son loyer ou demander une renégociation de celui-ci.

a) La force majeure

La force majeure a pour conséquence d’exonérer l’une ou l’autre des parties de l’exécution de son obligation.

Ainsi, l'article 1218 du Code civil dispose : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur". Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».

Pour libérer le débiteur de son obligation, il s’agira d’apprécier si toutes les conditions relatives à la force majeure sont réunies :

- Survenance d’un événement échappant au contrôle du débiteur,

- Imprévisibilité lors de la conclusion du contrat,

- Evénement irrésistible qui empêche l’exécution du contrat, notamment le paiement du loyer.

Il faudra donc, en premier lieu, que la crise sanitaire soit qualifiée par les tribunaux de force majeure, sachant qu’une épidémie n’est pas nécessairement jugée comme un cas de force majeure. Ainsi, le bacille de la peste, les épidémies de grippe H1N1 en 2009, le virus du chikungunya n’ont pas été jugés comme des crises sanitaires constitutives d’événements de force majeure.

Le locataire devra ensuite apporter la preuve que ces mesures réunissent les critères ci-dessus ainsi que l’impossibilité absolue sans laquelle il se trouve de payer ses loyers, ce dont il devra amener la preuve (ex : bilans comptables attestant d’une baisse du chiffre d’affaires et des bénéfices ne lui permettant pas de faire face à ses obligations, etc.). Le juge conserve un pouvoir d’appréciation souverain et se détermine au cas par cas en fonction des éléments qui lui sont soumis.

En l’espèce, les décisions les plus récentes de jurisprudence ont consacré le principe selon lequel « le débiteur d’une obligation contractuelle d’une somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de son obligation en invoquant la force majeure ». Cette décision de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation du 16 septembre 2014 a été reprise par le tribunal d’instance de Montpellier au sujet de la crise sanitaire. Le preneur ayant invoqué « la crise sanitaire comme un événement extérieur, imprévisible, irrésistible », la Cour a repris le principe selon lequel le débiteur d’une obligation contractuelle concernant une somme d’argent ne peut s’exonérer en invoquant la force majeure.

b) La théorie de l’imprévision

L’imprévision concerne les contrats conclus après le 1er octobre 2016 et a pour but d’aboutir à la renégociation du contrat ou sa résiliation. Depuis le 1er septembre 2016, chaque partie à un contrat peut demander la révision des conditions contractuelles du bail à son cocontractant en invoquant l’article 1195 du Code civil.

L’article 1195 du Code civil relatif à l’imprévision stipule que : « Si un changement de circonstance imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Le locataire doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation, c’est-à-dire notamment payer son loyer. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir amiablement de la résolution du contrat à la date et aux conditions qu’elles déterminent ou demander au juge de procéder à son adaptation.

ll ne faut pas que l’exécution soit compromise mais qu’elle soit devenue excessivement onéreuse pour le débiteur sachant que ce critère est subjectif et qu’il est laissé à l’appréciation souveraine des tribunaux. Il faudra que le locataire démontre que le changement de circonstances était imprévisible lors de la conclusion du contrat, et que cela rend l’exécution de son bail « excessivement onéreuse ».

D’autres mécanismes pourraient être invoqués par le locataire tels le non-respect par le bailleur de son obligation de délivrance ou encore l’exception d’inexécution. Les décisions de jurisprudence actuelle n’ont pas validé ces motifs.

Cependant, la compensation a été admise au profit d’un bailleur par le Tribunal judicaire de Paris (Tribunal Judiciaire de Paris, 18ème Ch. RG n. 20/04516). Un restaurateur subissant une fermeture administrative de son local était redevable envers son bailleur des loyers pour la période de fermeture (14 mars au 2 juin 2020). Le bailleur, qui demandait le paiement intégral du loyer par voie de compensation a obtenu gain de cause malgré l’argument invoqué par le locataire concernant l’application de l’article 14 de la loi du 2 juin 2020 (gel des loyers). Le tribunal écarte l’application de cet article considérant qu’il ne suspend pas l’exigibilité du loyer qui peut être réglé par compensation.

En conclusion

Nous vous conseillons en premier lieu de rappeler à votre locataire ses obligations s’agissant du paiement du loyer afin de l’inciter à venir vers vous s’il souhaite bénéficier des dispositions envisagées par le gouvernement.

Concernant le loyer du mois d’avril resté impayé (1er confinement) : vous pourriez proposer à votre locataire un échelonnement du paiement s’il peut attester avoir été bénéficiaire du fonds de solidarité. Vous pouvez également mettre en jeu la clause résolutoire avec les réserves énoncées ci-dessus concernant la possibilité pour votre locataire d’invoquer les dispositions du droit civil.

Concernant les mois de novembre et décembre (2ème confinement) : vous ne pourrez intenter un contentieux pour impayé de loyer que deux mois après la fin de la fermeture administrative et avec les mêmes aléas que ci-dessus.

Vous pourriez aussi vouloir bénéficier du crédit d’impôt qui s’appliquera au loyer du mois de novembre et négocier un paiement échelonné pour le reste (avril et décembre).

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