Le bail dérogatoire du statut des baux commerciaux


Auteur : Maître Valérie TERRAL-PRIOTON, avocat et consultant UNPI 31-09.


En application de l’article L 145-4 du Code de commerce, le bail consenti à un locataire commerçant ou artisan, pour l’exploitation de son fonds de commerce, ne peut être d’une durée inférieure à 9 ans. Toutefois, dans des situations qui doivent rester exceptionnelles, les parties peuvent déroger à cette obligation en concluant un bail de courte durée, dénommé en pratique « bail dérogatoire », qui échappe à toutes les dispositions du statut des baux commerciaux, et en particulier au droit au renouvellement dont bénéficie le preneur : le contrat est uniquement régi par les dispositions de droit commun et notamment celles édictées par le Code civil.

Les règles applicables et la pratique

Les conditions de validité de cette dérogation sont prévues par l’article L 145-5 du Code de commerce qui prévoit, dans la version de son premier alinéa issue de la loi Pinel du 18 juin 2014 applicable aux baux conclus ou renouvelé à compter du 1er septembre 2014, que la durée totale du bail, ou des baux successifs, ne peut être supérieure à trois ans (durée qui n’était que de deux ans avant l’entrée en vigueur de ce texte modifié).

A l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois, que le bailleur doit utiliser pour manifester sa volonté de récupérer les locaux, le preneur doit les libérer.

Si le preneur est laissé en possession, il acquiert le droit à la propriété commerciale et il s’opère automatiquement un nouveau bail, d’une durée de 9 ans, cette fois régit par le statut des baux commerciaux.

En pratique, pour détourner cette interdiction de conclure des baux dérogatoires successifs d’une durée totale supérieure à 3 ans pour l’exploitation d’un même fonds dans le même local, le bailleur et le preneur convenaient expressément de stipuler dans le contrat ou par avenant, que le preneur renonçait à se prévaloir du statut des baux commerciaux. Une succession de baux dérogatoires pouvaient alors être indéfiniment conclus sans que le preneur puisse revendiquer la propriété commerciale de son fonds de commerce et le droit au renouvellement de son bail.

L’apport récent de la jurisprudence

La 3ème chambre de la Cour de cassation a mis un terme à cette pratique, aux termes d’un arrêt prononcé le 22 octobre 2020 (n° 19-20.443)

Les faits étaient les suivants :

Entré dans les lieux en 1995, le preneur conclut une succession de baux dérogatoires, et convient le 1er juin 2013, avec son bailleur, d’en signer un nouveau d’une durée de 24 mois.

Au cours de ce bail dérogatoire, le 18 juin 2014, est promulguée la loi PINEL qui modifie l’article L 145-5 du Code de commerce, et dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er septembre de la même année.

A l’issue de ce bail, les parties en signent un nouveau d’une durée de 12 mois, étant précisé que ce contrat stipule, comme les précédents, que le preneur renonce à se prévaloir du statut des baux commerciaux.

Le 31 mai 2016, le bailleur signifie à son preneur un congé pour marquer sa décision de mettre un terme à la relation contractuelle à compter du 1er juin 2016.

Le preneur invoque alors le bénéfice du statut des baux commerciaux au motif qu’il est entré dans les lieux depuis plus de trois ans.

La Cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt en date du 29 mai 2019, ne fait pas droit à son argumentation en considérant que le plafond de trois ans fixé pour la conclusion d’un ou de plusieurs baux dérogatoires successifs par l’article L 145-5 dans sa rédaction issue de la loi Pinel du 18 juin 2014 entré en vigueur le 1er septembre 2014, n’a pas d’effet rétroactif de sorte qu’il n’y a pas lieu de tenir compte des baux dérogatoires conclus auparavant.

Elle juge en conséquence que le preneur est sans droit ni titre depuis le 1er juin 2016 et elle ordonne son expulsion.

La Cour de cassation censure cet arrêt au visa de l’article L 145-5 du Code de commerce en décidant que la dérogation aux dispositions du statut des baux commerciaux « ne doit pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment, pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux, de plus de trois ans courant à compter de la date d’effet du premier bail dérogatoire ».

Deux règles sont posées par cet arrêt à savoir que :

- Pour l’appréciation de la durée maximale de 3 ans il convient de prendre en considération la durée de l’ensemble des baux dérogatoires successifs qui ont lié les mêmes parties, pour l’exploitation d’un même fonds de commerce, étant précisé que le délai court à compter de la prise d’effet du premier bail dérogatoire, peu important qu’il ait pris effet avant l’entrée en vigueur de l’article L 145-5 dans sa version issue de la loi Pinel du 18 juin 2014,

- La renonciation du preneur au bénéfice du statut des baux commerciaux au profit d’un nouveau bail dérogatoire ne fait pas obstacle à ce que soit décomptée la durée de tous les baux dérogatoires qui ont été conclus en cas de maintien de l’identité des parties, du fonds de commerce, et du local.

La pratique des baux dérogatoires successifs avec renonciation du preneur à se prévaloir du statut des baux commerciaux est donc définitivement proscrite.

Cette clarification va mettre un terme à un abondant contentieux en la matière.

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